Un mode d’élevage qui lutte contre le désastre écologique.
Nous savons aujourd’hui que les activités humaines irresponsables détruisent littéralement le support de notre vie comme de celle des autres espèces vivantes, au point que les humains sont devenus la cause de la 6e extinction massive de la biodiversité que connaît notre planète. Sur l’ensemble de la planète, 60 % de milieux naturels ont été dégradés au cours des 50 dernières années.
Selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), plus de 1 000 espèces connues sont déjà éteintes et plus de 26500 espèces sont menacées d’extinction, ce qui représente plus d’un quart des espèces évaluées. Les invertébrés, qui constituent le plus gros bataillon de la biodiversité (70% des espèces connues, la plupart petites et rares, difficiles à échantillonner et à identifier), sont du même coup les premières victimes de cette hécatombe. Qu’on se figure qu’en moins de trois décennies, 75 % de la biomasse des insectes ont disparu dans les aires protégées en Allemagne !
En 40 ans, nous avons perdu 60 % des populations d’animaux sauvages sur Terre. En France, la moitié des zones humides a disparu depuis la deuxième guerre mondiale et près d’un tiers des oiseaux des champs ont disparu ces quinze dernières années.
Il y a urgence à organiser et à sécuriser un usage des terres qui respecte la biodiversité, avec une priorité pour les terres les plus fragiles.
Sur le Plateau de Millevaches, les milieux ouverts non cultivés constituent un enjeu particulier. Les oiseaux dépendant des espaces ouverts, mais aussi les insectes, les araignées, les reptiles, les amphibiens, perdent un à un les rares espaces habitables qui leur restent.
On le réalise peu, mais les milieux ouverts « naturels » (on entend par là les milieux ouverts non cultivés et non fauchés, dont l’ouverture n’est pas le fait d’une action humaine mécanique ou chimique) sont les plus menacés en France et en Europe. Partout, ils ont été éradiqués pour être remplacés par des espaces désertiques, soit bétonnés, soit saccagés par les grandes cultures industrielles. Parfois aussi, et c’est plus le cas localement, ils ont disparu suite à la déprise agricole et aux plantations résineuses industrielles des landes et des tourbières. Ces milieux ouverts « sauvages » constituent pourtant l’habitat de la majorité des oiseaux et insectes menacés sur le Plateau de Millevaches : landes, tourbières, prairies naturelles non fauchées et autres types de pelouses sèches ou humides. Les espèces d’oiseaux en danger qui en sont dépendantes sont les plus nombreuses. Pour n’en citer que quelques-unes parlons de la pie-grièche grise (dont la région constitue le dernier bastion en France), le circaète Jean-Leblanc, le buzard saint martin… Mais les espèces moins connues qui sont dépendantes de ces milieux et qui se trouvent menacées par leur disparition sont beaucoup plus nombreuses, en particulier les insectes, les amphibiens et les reptiles…
Dans les dix ans qui viennent, avec les départs à la retraite des agriculteurs, la moitié des fermes de France vont changer de main. Sur le Plateau de Millevaches, cette proportion est encore plus importante tant l’exode rural y a été massif. Or à défaut d’une dynamique de reprise des terres, celles-ci iront bien souvent à la sylviculture industrielle.
Sur le territoire du Plateau de Millevaches, cette dernière constitue la menace principale. Si rien n’est fait, les milliers d’hectares qui cesseront d’être utilisés par l’élevage extensif comme c’est le cas actuellement seront repris en grande partie par de grandes coopératives forestières, ou par des fonds d’investissements qui leur confieront la plantation de résineux, perçus comme un placement à long terme.
Qu’on ne s’y trompe pas : si le fait de planter des arbres peut abstraitement sembler une action sympathique, ce qui se passe concrètement est tout autre. Il s’agit de remplacer un espace vivant, habité par de nombreuses espèces animales et végétales fragiles, par un milieu hostile où le seul critère pris en compte est celui de la rentabilité au terme le plus court possible. Du point de vue écologique, la plantation monospécifique de résineux est une catastrophe. La biodiversité y est réduite au strict minimum, et les habitats y sont quasiment inexistants.
Cette pauvreté n’est pas un hasard : la plantation de résineux telle qu’on la trouve sur le Plateau de Millevaches (comme, ailleurs, dans le mal nommé département des Landes par exemple) est un désert voulu et volontairement créé par l’homme. Tout est fait pour que rien n’y pousse à part l’espèce choisie : les arbres sont plantés de manière suffisamment serrées afin que la lumière y pénètre trop peu pour que des plantes puissent y pousser. La plantation est pensée comme un désherbage automatique qui fonctionne de manière particulièrement efficace.
Ce désert est bâti en éradiquant les habitats qui existaient à sa place de manière aussi efficace que la construction d’une autoroute. La plus grande partie de la vie y est de fait exterminée, tandis que les milieux qui ont été préservés car ils n’ont pas été plantés se sont appauvris également, du fait d’être déconnectés les uns des autres par des barrières résineuses infranchissables.
C’est au vu de ce constat que dans nos pratiques d’élevage, nous accordons une attention toute particulière aux espaces ouverts sauvages, landes, tourbières, ou prairies non fauchées.
Pour protéger ces espaces, l’élevage extensif tel que nous le pratiquons constitue la forme d’agriculture la plus adaptée. En effet, et contrairement à d’autres pratiques, comme la culture des céréales par exemple, le pastoralisme ne demande ni de couper les arbres et autres plantes existantes, ni de retourner la terre : il suffit de mener les animaux là où la nature peut les nourrir, en bon entente avec le reste de la faune. Ainsi, nos vaches et nos moutons partagent leur territoire avec des chevreuils, des cerfs, des sangliers et des lièvres, sans parler de toute la faune plus petite et moins visible, mais tellement plus nombreuse, qui habite les parcelles que nous utilisons !
Et comme nous n’achetons pas d’aliments extérieurs pour nos animaux, nous ne repoussons pas le problème sur une autre partie de la planète, comme c’est le cas pour les animaux élevés en bâtiments.
Nous essayons donc, lorsque c’est possible, de récupérer des terres qui menacent d’être plantées ou replantées après des coupes rases de résineux, pour restaurer des milieux de landes par le pâturage. Nous faisons le pari qu’il est possible de développer des formes de production qui sont dans la nature, en lien avec elle. Et qu’en créant ces espaces et en les habitant nous créons en même temps la possibilité de survivre dans ce monde en déroute, et de défendre les habitats sauvages dont nous faisons nous-mêmes partie.
La forme d’élevage que nous pratiquons, en fonctionnant avec 80 % de surface en parcours, c’est à dire des espaces qui ne sont ni fauchés, ni cultivés, mais seulement entretenus par le pâturage, permet d’entretenir les milieux ouverts sauvages, et de protéger ainsi les espèces animales et végétales qui y trouvent refuge.