Un argument récurrent pour promouvoir une alimentation végétarienne est qu’il faut beaucoup plus d’énergie pour produire un kilo de viande que pour produire un kilo de protéines végétales. Cet argument, très juste si on parle d’élevage industriel, omet un paramètre de taille si on considère le type d’élevage que nous pratiquons : c’est que non seulement toutes les terres ne sont pas cultivables, mais encore qu’il serait catastrophiques qu’elles le soient toutes ! Une grande partie de notre flore et de notre faune sauvage se plaît à merveille dans les espaces pastoraux, mais serait irrémédiablement détruite par la culture, fut-elle biologique.
Aussi, nous pensons qu’un monde sans pastoralisme serait peut-être aussi effrayant que la catastrophe actuelle : il aboutirait à la perte de toute une biodiversité, domestique comme sauvage, qui lui est liée à travers les prairies humides, le bocage, les landes, les montagnes… Sans parler de l’anéantissement d’une multiplicité de cultures paysannes, de savoirs faire artisanaux, de spiritualités ancestrales qu’elles soient monothéistes, polythéistes ou animistes…
Au contraire, l’élevage lorsqu’il n’est pas synonyme de destruction est un bel exemple de symbiose. Les hirondelles et les martinets se régalent des mouches qui incommodent les vaches et les moutons aux alentours des étables et des pâtures, tandis que des tritons, des grenouilles, des papillons, une myriade d’espèces rares et sauvages peuplent les prairies pauvres et humides ou paissent les vaches.
Cette symbiose est entravée par des pratiques agricoles destructrices qui se sont développées tout au long du vingtième siècle. Usage de pesticides bien sûr, qui tuent les insectes et par ricochet toutes les espèces qui s’en nourrissent, comme un très grand nombre d’oiseaux. Mais aussi d’autres pratiques plus anodines, qui ont moins d’impact mais qui réduisent quand même la biodiversité, et que nous voulons limiter, comme le travail du sol qui n’est pas à proscrire mais à limiter dans l’espace.
Ce que nous voulons développer est donc un système d’élevage basé avant tout sur le pâturage, c’est à dire à partir de terres qui ne sont ni retournées, ni même fauchées pour leur majorité. Ce système vise à tirer parti au maximum du territoire traditionnel de la Montagne limousine. Ce territoire dispose de peu de terres cultivables, encore celles-ci n’étant pas d’une richesse très grande, et la terre y étant acide. En revanche, il propose une grande richesse en parcours pour les ruminants : les landes à callune, les taillis, et les tourbières.
Nous mettons donc en place une agriculture à la fois adapté au territoire local et aux races qui y sont adaptée, mais qui permet aussi la restauration et l’entretien de milieux qui nous sont chers. Il s’agit de travailler à partir des contraintes qui sont celles du territoire, en les considérant comme des atouts et aussi comme le lieu où il fait bon, pour nous, vivre et travailler. Ces espaces de pâturage sont la niche d’une foule d’être vivants qui ont besoin de ces milieux.
Ce mode d’élevage pastoral représente aussi une possibilité de se réapproprier une pratique agricole presque disparue en Europe occidentale, et qui pourrait pourtant s’avérer une sorte de salut pour l’agriculture. En effet, le pastoralisme extensif sur parcours sauvage, tel que décrit plus haut, permet la réduction de l’usage de produits antiparasitaires (ceux-ci représentant à la fois une menace pour l’environnement et une dépendance des éleveurs à l’industrie pharmaceutique), la réduction de la dépendance auprès des fournisseurs d’aliments, et une bien meilleure résistance à la sécheresse puisque l’utilisation des parcours ligneux ou humides reste possible même lorsque les prairies classiques ont été grillées par le manque d’eau chronique.
Ce type d’élevage ne rentre pas en concurrence avec la production de nourriture végétale, puisqu’il ne consomme pas d’intrant, et à lieu sur des terres qui ne sont pas cultivables, ou bien dont le défrichement pour les cultiver représenterait une énorme destruction écologique.
Travailler ainsi permet au paysan de travailler au sein d’un monde vivant qui n’est pas limité à la pauvreté de l’utile. L’éleveur pastoral croise les lézards vivipares dans les tourbières, les argiopes dans les landes, et entend au dessus de lui crier la buse qui chasse les nombreux rongeurs qui courent à ses pieds. C’est cette place de l’agriculture au sein de la nature qui lui confère la charge spirituelle qu’elle a en grande partie perdu au cours de la « modernisation » à marche forcée qui lui a été imposée.